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De Nasbinals à Conques en courtes étapes

La Picaresca, la face cachée du chemin de Compostelle

De nos jours, le chemin de St Jacques connaît un engouement certain, à la fois « entreprise spirituelle », mais aussi touristique pour probablement un plus grand nombre de pèlerins, enclins à découvrir le Camino et les beautés touristiques que l’on retrouve le long du chemin. Si de nos jours le sentier est bien tracé, balisé, répertorié sur les topos-guides, si en ces temps de pèlerinages modernes les auberges se sont converties en hôtels et autres posadas aux services irréprochables, il n’en fût pas toujours ainsi.

« Con pan y con vino, se anda el camino »

C’est sans nul doute la faim qui sera le principal moteur, au moyen âge, du pèlerinage vers St Jacques. Les fléaux naturels, les incessantes guerres, les épidémies ont pour conséquence de terribles disettes qui parfois rasent et déciment des territoires entiers dans toute l’Europe.

Dès les débuts du pèlerinage, les besoins matériels étaient relativement bien satisfaits. Les grilles des monastères et des hospices s’ouvrent face aux appels angoissés des estomacs. Les notables, les seigneurs et les plus puissants investissent par prestige autant que par charité dans l’assistance aux pèlerins. Des ordonnances royales fixent même la ration de pain et de vin qu’il convient de donner. La bonne nouvelle se répand donc comme une traînée de poudre dans toute l’ Europe et le Camino de Santiago devient un chemin de charité, de soupe chaude et de vin, attirant des nuées de pèlerins aux motivations parfois, souvent, diamétralement opposées.

« La Picaresca est née »

Sur le chemin de St Jacques, au début même du pèlerinage à Santiago, toutes les conditions sont donc déjà réunies pour que la Picaresca, au sens large du terme, puisse se développer avec sa double facette : celles de ceux qui errent sur le chemin en qualité de faux pèlerin et celles de ceux, qui souvent plus dangereux, guettent le passage des pèlerins animés par la foi.

La Picaresca c’est l’ensemble de la roublardise, de la malice, de la duperie, du vol et parfois du crime qui va constituer, huit siècles durant, la face sombre du pèlerinage à Santiago de Compostelle et qui en fera une aventure des plus périlleuses.

Attiré donc par l’abondance de charité, le chemin de St Jacques de Compostelle est littéralement pris d’assaut par des hordes de pauvres malheureux qui voient, dans cette opportunité, la possibilité bien sûr de se remplir le ventre mais aussi celle de gagner quelques sous par la mendicité, la tricherie et milles autres subterfuges dont passeront maîtres, les picaros itinérants. Ils se déplacent de ville en ville, se couvrent de pustules et de fausses plaies pour attendrir les bons pèlerins. Dans l’hospice suivant, ils obtiennent vêtements et sandales qu’ils s’empressent de revendre à l’étape suivante et ainsi va la vie du pèlerin picaros qui n’a pour seule ambition que de grimper, un tant soit peu, dans l’échelle sociale de la picaresca, en devenant marchand, aubergiste ou tout autre métier bénéficiant d’une mauvaise image dont était infestée les routes de St Jacques.

« Le Camino… un pèlerinage des plus périlleux »

Levoca

Dans une seconde catégorie de la Picaresca, nous retrouvons donc des picaros plus sédentaires, ceux qui guettent le passage des pèlerins.

Au sommet de la hiérarchie, nous trouvons l’aubergiste qui est sans nul doute l’ennemi numéro un du pèlerin. Chez l’aubergiste du chemin de St Jacques de Compostelle, tout est bon pour escroquer le pèlerin. Coupage du vin, nourriture avariée, prix exorbitant, vol en tous genres sans oublier quelques cas tragiques d’empoisonnement. « L’entreprise picaresca » ne connaît pas de limites.

Mais pour bien comprendre ce phénomène de la picaresca, il faut s’affranchir de notre influence à voir le pèlerin plus tôt de condition modeste et pauvre en pénitence pour Santiago de Compostelle, plus séduisante à nos yeux.

Il ne faut pas oublier les « autres », les jacobides que nous qualifierons de « normaux », ceux-là partaient pour le long voyage au bout de la terre du Finistère avec les bourses repletes de pièces de monnaie de leur pays d’origine et à l’occasion, de quelques objets précieux faciles à vendre. Il est donc fort probable que les quantités d’or et d’argent mises en circulation sur le Camino Francès ont dépassé tout ce qu’on a pu imaginer. Car pour le « peregrino », il n’y avait pas que les frais de voyage aller et retour, il y avait aussi tous ceux occasionnés par les autres dépenses comme les offrandes, aumônes, achats de souvenirs, de certificats attestant de son voyage. Le pèlerin était donc une proie bien tentante pour les bandes de voleurs et de brigands qui sévissaient le long du chemin. Les escarpements des Montes de Oca, situés avant le monastère de San Juan de Ortega s’étaient rendus célèbres en tant que repère imprenable pour les bandits spécialisés dans les attaques de pèlerins sans défense. C’était donc, généralement, les montagnes et les passages du chemin de Compostelle les plus étroits et les plus abrupts qui concentraient la majorité des voleurs, dont l’activité transparait aujourd’hui dans la toponymie. Mais cet afflux d’argent faisait avant tout les affaires des changeurs.

Embusqués derrière leurs étals ou terrés dans leurs boutiques, ce que le Codex Calixtinus appelle « faux banquiers », occupaient une place des plus enviables au classement des dupeurs de pèlerins. Car le pèlerin en route pour Compostelle doit impérativement passer à plusieurs reprises aux tables de change pour obtenir les monnaies en usages dans les territoires qu’il traverse. Si un marc en argent massif vaut trente sols, le changeur n’en donnera que vingt. Le changeur escroc utilise différents poids, quand il achète l’argent il se sert des plus gros, de celui qui fait un meilleur contre poids et pour la revente il utilise le plus petit et le plus léger. En résumé, il vend cher et achète bon marché.

D’autres filous avides des deniers des pèlerins de St Jacques de Compostelle, on les retrouve dans la corporation des péagers et des bateliers. Le passage des fleuves était une entreprise des plus risquées pour le « peregrino ». Outre le fait qu’on lui réclame des sommes exorbitantes pour le passage et souvent assortis de violences, certains bateliers recourraient à des méthodes plus expéditives. Il n’était pas rare que le bateleur fasse monter un si grand nombre de personnes, après les avoir fait payer, que l’embarcation chavire et que les pèlerins se noient. Ce qui avait le don de lui inspirer une joie macabre vu qu’il s’emparait, avec l’aide de complices, des dépouilles et bien sur des biens des naufragés.

Les abus et arnaques allaient donc bon train dans le monde de la Picaresca et la liste des malhonnêtes et profiteurs ne fit que se développer. Le chemin de St Jacques est devenu dorénavant un espace animé et populeux, où fleurissent foires et marchés.

Le camino de Santiago attire donc naturellement des marchands, des négociants de toute l’Europe et bien sûr  là encore, pas toujours scrupuleux. Le passage des pèlerins de St Jacques de Compostelle constituait enfin de compte un véritable filon, que l’économie espagnole marquait d’une pierre blanche les années jubilaires et que les fluctuations des banques européennes, à la suite d’opérations de change au cours des années de grand pèlerinage, étaient révélatrices des avoirs des pèlerins.

L’existence de toute cette Picaresca n’est donc plus une surprise et connaissant la nature humaine, il n’est donc pas surprenant que toute l’iniquité et la fausseté du monde, proliférèrent sur les chemins des saints.

Si vous souhaitez approfondir vos connaissances historiques sur le chemin de St Jacques de Compostelle, nous vous recommandons la lecture d’un livre qui a largement inspiré ce modeste article. Coquins, gueux, catins… sur le chemin de St Jacques par Pablo Arriba aux Editions Cairn… un excellent livres, volumineux, mais que nous avons lu d’une seule traite, tant le récit et captivant.